Marion Droz Mendelzweig & Maria Grazia Bedin / auteures invitées

Même avec une expansion massive, le système de soins existant ne peut pas répondre au vieillissement de la population. Toutefois, les besoins changeants de la prochaine génération de seniors donneront lieu à des solutions nouvelles et innovantes.

Article en allemand

Où vais-je passer mes vieux jours ? Dans quelles conditions vais-je vieillir ? Tôt ou tard ces questions se posent à chacun et chacune, l’une appelant inévitablement l’autre. Sans recouvrir la totalité des aspects soulevés dans ces deux questions, l’habitat se situe au cœur de la problématique du vieillir en santé. Au-delà des aspects architecturaux et fonctionnels, il touche à la qualité de vie car il est empreint de dimensions identitaires et existentielles.

Pour les personnes âgées, le facteur temps rend la mobilité plus difficile

Habiter quelque part c’est se sentir chez soi, sentiment qui est le produit d’un processus d’appropriation: l’appropriation d’un espace, la faculté d’exercer sa souveraineté dans cet espace, la possibilité d’y délimiter les «territoires de son intimité» et d’en définir les usages. Le facteur temps est constitutif de ce sentiment, et c’est précisément pour cela qu’avec l’avancée en âge, il acquiert un rôle de double arbitre dans le rapport à l’habitat : le temps vécu comme part intrinsèque de l’identité, mais aussi le temps vécu comme facteur de risque principal pour la santé des personnes âgées. Plus on aura vécu longtemps dans un endroit, plus on y aura laissé ses empreintes, ses souvenirs et pris ses habitudes, moins il sera facile de s’imaginer dans un ailleurs étranger à sa trajectoire de vie.

L’enracinement d’un individu est intrinsèquement constitutif de sa continuité biographique et, dès lors, le déménagement s’apparente à un déracinement. La familiarité avec le lieu d’habitation consolide les capacités physiques et intellectuelles, mais les années vécues sont aussi la cause du vieillissement des organes, y compris du vieillissement cérébral. Lorsque la personne est poussée à quitter son domicile en raison de difficultés à pouvoir s’y maintenir, elle est donc doublement affectée : dans ses habitudes et ses capacités d’une part, et dans ses facultés à se reconstituer et à s’adapter à un nouveau lieu d’autre part. Cette «mobilité contrainte» est vécue douloureusement par la personne déplacée, et par extension, ses proches en souffrent aussi.

Des alternatives aux soins de longue durée hospitaliers requises

Compte tenu des multiples facteurs de santé liés à l’habitat, il est indispensable que ce sujet ait une place de premier plan dans les politiques sociales et sanitaires d’adaptation au vieillissement de la population. D’après les projections de l’Office fédéral de la statistique (OFS), il faudrait créer au moins 70’000 places supplémentaires en établissement médico-social (EMS) d’ici 2045 pour s’ajuster à l’évolution démographique. Les différentes organisations du domaine gériatrique s’accordent pour soutenir qu’une telle stratégie n’est pas viable à une telle échelle et qu’il faut repenser le système de soutien aux personnes âgées dépendantes par le développement d’alternatives pour faire face à la pression exercée sur l’offre hospitalière dans les institutions de long séjour. Il s’agit de diversifier l’offre, d’optimiser la chaîne des soins dans son ensemble et de développer les coordinations entre les différents acteurs. En réservant les places en EMS pour les personnes âgées fortement dépendantes de soins, un élargissement en parallèle des options d’habitat devrait voir le jour en Suisse.

Ce mouvement est déjà amorcé. Aujourd’hui, l’habitat en EMS ne concerne qu’une minorité des seniors en Suisse et une diminution du taux de recours à l’EMS s’observe de manière suivie depuis 2006 (5,5% des seniors de 65+ vivaient en EMS en 2017 contre 6,4% en 2006).

Les aînés d’aujourd’hui ont des besoins différents

Accompagnant le vieillissement démographique, de véritables changements anthropologiques ont profondément modifié les profils des nouvelles générations de seniors. Celles-ci, pour la plupart, possèdent des ressources financières plus importantes grâce notamment à la constitution d’épargnes, à l’accumulation de rentes LPP et au 3e pilier, alors que les générations précédentes devaient, au mieux, se contenter de l’AVS. Elles ont aussi vécu des changements au niveau de la parenté et des structures familiales. Le taux de divorces a fortement augmenté depuis la seconde moitié du 20e siècle. Les recompositions familiales sont plus fréquentes, tout comme les ménages mono. Parallèlement, la natalité a chuté, avec pour effet un accroissement du phénomène de solitude dans le grand âge. Des nouveaux rapports de genre se sont installés, grâce à l’autonomisation des femmes dans les ménages, à l’accès à la contraception, à 49 ans d’exercice de la citoyenneté entière pour les femmes, et à une présence féminine dans les espaces professionnels. Enfin, les seniors actuels jouissent d’un meilleur état de santé global à âge égal.

Il en ressort des habitudes de vie plus marquées par la mobilité et la flexibilité (cursus professionnels plus variés, accès facilité aux formations, expériences de vie multiples), où l’individualisme et les revendications d’autonomie sont aussi davantage affirmés. Le croisement de ces différentes dimensions marquées par l’hétérogénéité et la disponibilité de ressources intellectuelles et matérielles présente un fort potentiel en termes de créativité, mais aussi en termes de défis dans les attentes à satisfaire.

Des nouvelles options d’habitat et des concepts de santé communautaire

Dans ce contexte, de nouvelles options d’habitat émergent. Des individus – seniors conscients et concernés par leur vieillissement – s’affirment comme acteurs influant sur la conception de leur habitat. Des initiatives privées et publiques, telles que les logements protégés par exemple, s’inscrivent dans des de santé communautaire soucieuses du vieillissement en bonne santé. En effet, des corrélations sont établies entre la solitude des personnes âgées et la détérioration des fonctions motrices ainsi que l’augmentation significative des risques de développer des troubles cognitifs. C’est par la réunion des seniors et des acteurs de terrain, tels que des professionnels du social et de la santé, des politiciens, des entrepreneurs, des architectes et des urbanistes, qu’il convient de chercher des solutions concrètes innovantes et répondant aux besoins exprimés par leurs futurs usagers. Dans une perspective d’«empowerment», il importe en effet d’impliquer la population aux différents échelons de la conception des projets d’habitat. Il s’agit d’inviter les personnes à être les protagonistes d’un « bien vivre » dans un environnement favorable aux interactions entre les habitants, d’entendre leurs préoccupations et de chercher ensemble des solutions réalistes et stimulantes. Les living lab qui ont émergé ces dernières années sont des facilitateurs d’une telle démarche.


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